UNE RENCONTRE A CAYENNE

19/04/2025

#RDVAncestral : La règle du jeu est la suivante : je me transporte dans son époque et je rencontre un ascendant ou collatéral. Pour ce premier essai, je vous emmène à Cayenne.


Le vent chaud et humide de Cayenne m'enveloppa, un contraste saisissant avec la brise méditerranéenne que je connaissais.

Devant moi, les murs austères du bagne se dressaient, témoins d'une histoire familiale sombre. Mon cœur battait la chamade. J'allais rencontrer l'ombre de Técher Appolinaire, le second mari de mon arrière-grand-mère maternelle Marie Félicie.

Un gardien bourru me conduisit à travers des cours silencieuses, chargées d'une atmosphère pesante. Dans un parloir rudimentaire, un homme d'environ 1m65 se leva. Ses cheveux et sa barbe étaient grisonnants, encadrant un visage ovale au teint blanc. Ses yeux marrons, derrière un nez ordinaire, portaient le poids des années et des remords. 

"Appolinaire Técher ?" demandai-je, la voix hésitante. Il acquiesça d'un signe de tête.

"Je m'appelle Christiane," commençai-je, "je suis la petite-fille de Prosper." Un éclair de reconnaissance traversa ses yeux. "Prosper... oui, je me souviens, il était le fils cadet de Marie Félicie".

Je pris une inspiration et ajoutai : "En 1979, lors d'un séjour à la Réunion, j'ai eu l'occasion de rencontrer votre fille, Francine."

Une lueur, une tendresse inattendue, illumina son visage marqué. "Francine... ma fille..." Sa voix se brisa légèrement. "Comment va-t-elle ? Elle était si petite..." L'espace d'un instant, l'image du bagnard s'effaça, laissant place à celle d'un père, rongé par l'absence.

 Je lui dis qu'elle allait bien, à l'époque.

Un silence empli d'émotion s'installa. Lentement, avec des silences douloureux, il évoqua cette nuit fatale au Tampon, la dispute, la colère aveugle, le geste irréparable qui avait coûté la vie à sa voisine et à sa fille. Ses mots étaient empreints d'une tristesse profonde, d'un regret qui n'avait fait que s'amplifier avec l'isolement du bagne et la pensée de sa fille qu'il n'avait pas vue grandir.

Le temps s'écoula, pesant. L'heure de mon départ sonna, brisant le silence fragile qui nous unissait. Un dernier regard, chargé d'une compréhension mutuelle au-delà des générations et des actes, mais aussi d'une connexion inattendue par le souvenir d'un enfant. En quittant les murs du bagne, emportant avec moi le poids de ses aveux et l'écho de son amour paternel, je savais que cette rencontre marquait à jamais ma perception de l'histoire familiale.