QUAND LA GÉNÉALOGIE AIDE LA MÉDECINE

25/08/2025

Dans le Sud de l'île de La Réunion, une énigme médicale a longtemps intrigué médecins et familles : plusieurs nourrissons, pourtant nés dans des foyers différents, présentaient les mêmes symptômes inquiétants — anorexie sévère, vomissements incontrôlables, et une détérioration rapide de leur état neurologique.

Depuis 1969, entre 70 et 100 jeunes patients ont été recensés sur l'île, tous nés de deux parents réunionnais.

Cette affection, baptisée syndrome de la RAVINE, doit son nom à un acronyme précis décrivant ses caractéristiques :

> RAVINE = nourrissons Réunionnais, Anorexie, Vomissements Incoercibles et signes NEurologiques.

À ce jour, cette maladie rare n'a été observée qu'à l'île de La Réunion.

Une piste génétique

Très tôt, les équipes médicales ont suspecté une cause génétique. Les symptômes touchaient parfois plusieurs enfants dans la même fratrie, et les parents concernés n'avaient eux-mêmes aucun signe de la maladie. Cela orientait vers une transmission autosomique récessive : l'enfant doit hériter de la mutation des deux parents pour développer la maladie.

L'enquête généalogique

C'est là que la généalogie est entrée en jeu. Des chercheurs de l'Inserm et du CHU de La Réunion, épaulés par des spécialistes en généalogie, ont entrepris un travail de fourmi : recueillir l'histoire familiale de chaque cas identifié. Noms, lieux de naissance, alliances, anciens mariages… Peu à peu, de vastes arbres généalogiques prenaient forme, remontant parfois à plus de sept générations.

À la surprise des familles, les lignées, qui paraissaient au départ indépendantes, se rejoignaient dans un passé lointain. Un ancêtre commun né vers 1728 émergeait, probablement porteur d'une mutation génétique rare, transmise ensuite à ses descendants.

L'effet fondateur

La topographie de La Réunion a joué un rôle déterminant. Les ravines, les montagnes et les routes difficiles ont limité les échanges entre certaines zones. Les mariages se faisaient souvent dans un cercle restreint (mariages consanguins), renforçant ce qu'on appelle l'effet fondateur : une mutation rare présente chez un ancêtre se transmet et se concentre dans une population limitée.

La découverte du « gène sauteur »

Grâce à la combinaison des données généalogiques et de l'analyse ADN, les chercheurs ont identifié la cause : une mutation dans un rétrotransposon, un « gène sauteur » non codant — une première dans l'histoire de la médecine humaine. Ce type de gène a la particularité de se déplacer dans le génome, et dans ce cas précis, sa mutation entraîne un dérèglement grave du développement neurologique.

Quand la généalogie éclaire la science

Cette aventure montre que la généalogie n'est pas seulement une passion tournée vers le passé ; elle est aussi un outil précieux pour comprendre des problèmes bien actuels. En reliant les branches d'arbres familiaux éparpillées dans le temps et l'espace, les chercheurs ont pu identifier l'origine d'une maladie, retracer son histoire et offrir de nouvelles perspectives pour la prévention.

Ainsi, le syndrome de la RAVINE est un exemple éloquent de la manière dont la mémoire des familles peut devenir une clé scientifique, reliant l'histoire intime des générations à l'avancée des connaissances médicales.