
NOMS DE FAMILLE DES ESCLAVES A LA RÉUNION
Quand les esclaves reçurent leurs premiers noms de famille à La Réunion
À La Réunion, dans les années 1840, un épisode peu connu de l'histoire a marqué profondément la mémoire des familles : c'est à cette époque que les anciens esclaves ont reçu, pour la première fois, de véritables noms de famille.
Avant cela, ils ne portaient qu'un prénom. C'est lors des mariages célébrés à la Chapelle Pointue, à Saint-Gilles que chaque mariage était l'occasion d'attribuer un patronyme, souvent choisi par les propriétaires.
Des noms inventés, mais pas au hasard
Ces noms ne pouvaient pas être ceux de familles déjà existantes, sauf autorisation écrite. Il fallait donc en inventer de nouveaux. Souvent, les maîtres puisaient leur inspiration dans leurs souvenirs, leurs voyages, ou dans les lieux qui leur étaient chers.
C'est ainsi qu'une femme esclave nommée Agathe, connue pour sa fidélité et son rôle de commandeur, reçut le nom de Sorèze. Ce nom venait d'un village du Tarn, en métropole, où les fils de Madame Desbassayns avaient fait leurs études, et où leur père avait lui-même séjourné.
Un jeu de miroirs entre le Tarn et La Réunion
Les trois filles d'Agathe — Augustine, Émilie et Agnès — épousèrent trois frères, également esclaves. Ces hommes furent nommés Puylaurent, d'après un autre village du Tarn, tout proche de Sorèze.
Le choix n'était pas anodin : ces deux localités, voisines, avaient connu dans l'histoire des rivalités religieuses intenses. Sorèze était un bastion catholique, tandis que Puylaurens s'était rangé du côté protestant lors des guerres de Religion. À travers ces noms, on retrouve donc un reflet de la culture, des références et même des tensions de la France d'alors.
Des noms venus de toute la carte de France
Madame Desbassayns ne se limita pas au Tarn. D'autres esclaves reçurent des patronymes empruntés à diverses villes et villages du sud de la France : Blagnac, Castanet, Fronton, Mazamet, Montaudran, Auzielle…
Certains noms venaient d'encore plus loin : Atale, Béziers, Oran, Painbeuf, Parthenay, Saba, Saint-Gilles, Samos… Une véritable mosaïque géographique, transposée dans une société où les noms devenaient des repères nouveaux pour ceux qui avaient été privés d'identité officielle.
Une mémoire forgée dans la contrainte
Ces patronymes, attribués sans consultation, furent au départ un acte d'autorité. Pourtant, avec le temps, ils sont devenus des héritages familiaux, transmis de génération en génération. Ce qui avait été imposé s'est transformé en symbole d'appartenance, de filiation et de mémoire.
Derrière chaque nom inventé se cache une histoire humaine : celle de femmes et d'hommes qui, après des siècles d'anonymat, ont commencé à exister officiellement, à porter un nom, à écrire leur lignée.
Source : La vie quotidienne des esclaves chez Mme Desbassayns

