RENCONTRE AVEC MARCELLINE 

18/10/2025

Le vent tiède de l'océan soufflait sur les collines d'une île sans nom. Devant moi, un sentier de sable se perdait dans la lumière, entre mer et ciel. C'est là, dans ce lieu suspendu hors du temps, que je l'ai vue.

Une femme était assise, droite, paisible. Sa peau avait la couleur du bois vieilli par le soleil, et dans ses yeux brillait la mémoire d'un autre siècle. J'eus le souffle coupé : je savais qui elle était. Alors, d'une voix tremblante, je l'interpellai.

 

— Marcelline ?


Elle se retourna, surprise.


— Je viens de loin, dis-je. Je m'appelle Christiane… je suis ta descendante.

 

Un silence doux s'installa entre nous. Elle me considéra longuement, puis m'invita à m'asseoir près d'elle, à l'ombre d'un grand arbre dont les feuilles frémissaient.


Alors, elle commença à parler.


Elle me raconta qu'elle était née à Saint-Louis, le 5 avril 1733, d'une mère malgache, Élisabeth, morte peu après sa naissance. Le couple Jean Cachelen et Françoise Lavalefou, lui Normand d'Herbelay, elle originaire de Madagascar, l'avait recueillie à l'âge de huit mois. « Françoise m'a élevée comme sa fille, » dit-elle doucement.


Puis elle évoqua le 16 octobre 1740, ce jour où, devant le notaire Guy Lesport, ses maîtres décidèrent de l'affranchir. Elle n'avait que sept ans. « Ils disaient vouloir honorer les bons soins de ma mère défunte, mais je sais qu'ils m'aimaient vraiment. »Sa liberté, pourtant, avait une condition : ne pas quitter Françoise tant qu'elle vivrait. « J'étais libre, mais je restais par attachement, par gratitude. »


Elle poursuivit, racontant comment, en 1748, devenue veuve, Françoise voulut la remercier en lui léguant un terrain à Saint-Pierre et quatre esclaves malgaches — Mathieu, Zaïque, Marie et Catherine. « Je savais ce que c'était d'être privée de liberté. Je n'ai jamais voulu reproduire cette chaîne.»


Son regard s'adoucit lorsqu'elle parla de Jean-Louis Kerbidie, un jeune Breton originaire de Quimperlé, qu'elle épousa à Saint-Paul le 3 mai 1748. « Il était courageux, et bon. Il a compris ma différence sans jamais la juger. »Leur union connut d'abord le silence des berceaux vides, jusqu'à ce qu'entre 1768 et 1774, six enfants viennent enfin illuminer leur vie — dont trois filles : Marie, Marie-Élisabeth et Marie-Magdeleine, à l'origine de ma lignée.


Mais la liberté devait encore être confirmée. En 1754, Jean-Louis demanda au Conseil supérieur d'homologuer son affranchissement, afin qu'aucune voix ne puisse jamais la nier. Le 20 décembre 1754, sa liberté fut reconnue, « pour être suivie et exécutée selon sa forme et teneur ».
Elle baissa la tête, pensive.— « J'ai vécu longtemps, entourée des miens. J'ai connu la douceur des jours libres, après l'ombre de la servitude. 

Quand je suis partie, à Saint-Joseph, en 1818, j'avais quatre-vingt-cinq ans… et le sentiment d'avoir laissé derrière moi une vie entière de fidélité et de courage. »

Ses mots flottèrent dans l'air comme un parfum ancien. Je la regardai longuement, émue, consciente d'entendre battre à travers elle la première pulsation de ma lignée.
Le vent se leva, emportant son image dans la lumière du large.Et dans le silence revenu, il me sembla entendre un dernier écho :
— « La liberté ne se possède pas, Christiane… elle se continue. »




#RDVAncestral - Mon moment d'évasion. Et si je pouvais rencontrer mon aïeul(e) ? Ce défi me permet d'imaginer ces rencontres impossibles, de donner libre cours à ma créativité tout en restant fidèle à l'histoire.