
LES PORTEURS DE MANCHY
Les conducteurs de chaise à porteurs ou de manchy à La Réunion lontan (d'autrefois) : ces porteurs de l'histoire oubliés
Avant que les routes carrossables ne sillonnent l'île, voyager à La Réunion relevait parfois de l'aventure. Entre les ravines profondes, les pentes abruptes et la forêt tropicale, se déplacer d'un quartier à l'autre était un véritable défi.
Pourtant, bien avant l'arrivée des voitures ou même des charrettes, un moyen de transport — aujourd'hui presque oublié — permettait aux notables, aux prêtres et aux dames de l'époque coloniale de se déplacer : la chaise à porteurs, aussi appelée plus tard manchy dans le parler créole réunionnais.
Qu'était une chaise à porteurs ou un manchy ?
La chaise à porteurs, ou manchy, était une sorte de nacelle ou de fauteuil fixé entre deux brancards. Deux, quatre ou parfois six hommes la portaient sur leurs épaules, avançant au rythme des sentiers escarpés de l'île Bourbon (ancien nom de La Réunion).
C'était un mode de transport réservé à ceux qui en avaient les moyens, mais aussi une nécessité dans un relief difficile et souvent dangereux.
Le mot « manchy » (ou manchi) vient du tamoul manchi, signifiant palanquin. Ce terme est apparu au XIXᵉ siècle avec l'arrivée des travailleurs engagés venus d'Inde, et il s'est intégré naturellement au créole réunionnais pour désigner ces chaises portées.
Les porteurs : esclaves, affranchis et travailleurs libres
Les « conducteurs » ou porteurs de chaise à porteurs/manchy étaient le plus souvent des esclaves domestiques appartenant aux familles aisées. Leur tâche demandait force, endurance et une connaissance fine du terrain.
Ils devaient marcher des heures, parfois de nuit, tout en gardant l'équilibre de leur précieux passager.
Après l'abolition de l'esclavage en 1848, certains anciens esclaves continuèrent à exercer ce métier, cette fois comme travailleurs libres et rémunérés. On les retrouvait notamment dans les quartiers montagneux, où les routes carrossables mettraient encore des décennies à être construites.
Témoignages du passé
Des voyageurs et administrateurs du XIXᵉ siècle ont laissé des traces de ces scènes typiques de la vie réunionnaise d'autrefois.
Ainsi, Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, lors de son passage sur l'île vers 1801, mentionne que « les dames créoles, pour se rendre aux assemblées ou aux églises perchées sur les hauteurs, se font porter en chaise par des nègres robustes ».
D'autres récits du temps du gouverneur Hubert Delisle (vers 1860) évoquent encore des prêtres et des fonctionnaires se déplaçant ainsi dans les hauts de Saint-Denis, de Saint-Benoît ou de Sainte-Suzanne.
La fin d'une époque
Avec la construction progressive des routes de ceinture et des voies intérieures, le recours aux chaises à porteurs et aux manchys déclina rapidement à la fin du XIXᵉ siècle.
Les voitures à cheval, puis les premiers véhicules motorisés, remplacèrent peu à peu ces moyens de transport humains.
Mais derrière cette disparition se cache toute une page méconnue de notre histoire : celle de ces hommes de l'ombre, esclaves ou affranchis, qui ont littéralement porté sur leurs épaules les grandes figures de la société coloniale réunionnaise.
Note linguistique
À La Réunion, on utilisait principalement les termes chaise à porteurs et manchy pour désigner ce moyen de transport humain.
Le mot français d'origine était litière, employé dans les écrits officiels et les récits de voyageurs.
Le terme manchy, issu du tamoul, appartient aujourd'hui au patrimoine linguistique et culturel réunionnais, témoin des métissages de l'île.
En résumé
Les conducteurs de chaises à porteurs et de manchys faisaient partie intégrante du paysage humain de La Réunion d'autrefois.
Ils incarnent à la fois la dureté de la vie servile, l'ingéniosité face aux contraintes du terrain, et la mémoire vivante d'un temps où voyager à travers l'île relevait presque du rite d'endurance.
📚 Sources
H. Isnard, La Réunion : aspects de la colonisation et du peuplement, Cahiers d'Outre-Mer, 1950.
Article Wikipédia, « Palanquin (litière) ».

