
LES OUBLIÉS DE TROMELIN
Les oubliés de Tromelin : une tragédie malgache dans l'océan Indien
Le 31 juillet 1761, la flûte française L'Utile, affrétée par la Compagnie des Indes, s'échoue violemment sur les récifs d'un minuscule îlot perdu dans l'océan Indien : l'île de Tromelin. À son bord, plus de 140 membres d'équipage et environ 160 Malgaches réduits en esclavage, embarqués clandestinement à Madagascar pour être vendus à l'île de France (Maurice).
Ce naufrage va donner naissance à l'un des épisodes les plus poignants et emblématiques de l'histoire de l'esclavage dans la région.
Le naufrage et l'abandon
Après l'impact, une partie des esclaves enfermés dans la cale se noie. Une centaine de survivants — membres d'équipage et Malgaches — parviennent à gagner la terre. Pendant plusieurs semaines, les naufragés improvisent une organisation fragile, partageant des ressources limitées sur cette île de sable d'à peine un kilomètre carré, dépourvue d'arbres et exposée à des vents violents.
Sous la direction de l'officier Barthélémy Castellan du Vernet, les marins construisent une embarcation de fortune à partir des restes du navire.
En septembre 1761, l'équipage quitte l'île, promettant de revenir secourir les Malgaches laissés derrière eux.
Mais la promesse ne sera pas tenue. Les survivants malgaches resteront quinze années seuls face aux éléments.
Quinze ans de survie : ingénierie, résistance et solidarité
Les recherches archéologiques dirigées par Max Guérout (GRAN – Groupe de Recherche en Archéologie Navale) au début des années 2000 ont mis au jour des traces frappantes de l'ingéniosité des rescapés.
Parmi les découvertes :
* Des abris en pierre soigneusement aménagés pour résister aux cyclones ;
* Un four et des foyers, construits en réutilisant des matériaux de l'épave ;
* Des ustensiles métalliques retravaillés, preuve d'un véritable savoir-faire en métallurgie ;
* Une exploitation organisée des ressources disponibles : oiseaux marins, œufs, tortues, poissons, récupération de l'eau de pluie.
Ces objets révèlent une société en miniature, structurée, capable de transformer un territoire hostile en lieu de survie durable.
Les rescapés ont aussi su faire perdurer le feu, malgré l'absence de bois, probablement grâce au métal incandescent ou à des braises entretenues sans interruption.
Le retour de la France et le sauvetage
Ce n'est que le 29 novembre 1776, après plusieurs tentatives avortées, qu'un navire français — la corvette La Dauphine — parvient enfin à accéder à l'île.
À bord, un jeune officier : Jacques-Marie Le Goarant de Tromelin, qui donnera son nom à l'îlot.
Il découvre alors huit survivants :
sept femmes et un enfant de huit mois, descendants des naufragés de 1761.
L'émotion suscitée par cette découverte est forte et alimente, en France comme dans l'océan Indien, les débats grandissants contre l'esclavage. Le destin de ces survivants devint un symbole de la dignité et de la résistance d'êtres humains d'abord considérés comme une cargaison.Un chapitre essentiel de la mémoire régionale.
Aujourd'hui, l'histoire des « esclaves oubliés de Tromelin » constitue un repère important de la mémoire de la traite dans l'océan Indien. Les objets mis au jour sont exposés dans plusieurs musées, et l'île elle-même est désormais un site protégé.
Ce récit rappelle la brutalité de la traite esclavagiste, mais aussi la force incroyable de ces femmes et hommes qui ont refusé de disparaître.
À la croisée de l'histoire réunionnaise, malgache, mauricienne et française, l'affaire de Tromelin demeure un héritage commun : celui de la lutte pour la survie et la dignité.
Sources
1. Max Guérout & Thomas Romon, Tromelin : L'île aux esclaves oubliés, CNRS Éditions / Inrap.
2. Inrap – Institut national de recherches archéologiques préventives, dossiers et rapports d'archéologie sur les missions 2006–2008 à Tromelin.
3. Jean-François Filliot, La Traite des esclaves vers les Mascareignes au XVIIIᵉ siècle, École des Hautes Études en Sciences Sociales.

