LES MÉTIERS LONTAN : LES LAVANDIÈRES

25/11/2025

Les lavandières à La Réunion : un métier essentiel et un pilier de la vie sociale

Pendant une grande partie du XXᵉ siècle, les lavandières ont occupé une place centrale dans la vie quotidienne réunionnaise. À une époque où l'eau courante n'existait pas encore dans les foyers et où la machine à laver était impensable, laver le linge représentait une tâche lourde, longue et difficile. Beaucoup de familles confiaient alors cette responsabilité à des lavandières, des femmes dont le métier consistait à laver, rincer et battre le linge, souvent pour plusieurs ménages à la fois.

Un travail physique, minutieux et indispensable

Le métier de lavandière demandait une grande endurance. Ces femmes se levaient tôt, transportaient sur la tête ou dans des paniers de lourds ballots de linge, parfois sur de longues distances. Le lavage se faisait initialement dans les rivières, là où l'eau était suffisamment propre et accessible. À l'aide de pierres plates ou de blocs de basalte, elles frottaient les tissus avec énergie : draps, vêtements, nappes, linge de maison… tout y passait.

Le savon industriel étant cher ou difficile à se procurer, beaucoup utilisaient du savon artisanal, parfois fabriqué à partir de graisse récupérée ou de cendre. Le rinçage se faisait directement dans le courant de la rivière, et le linge était ensuite étendu au soleil ou étalé sur les rochers.

Ce travail, quotidien pour certaines, était extrêmement éprouvant : les mains abîmées par l'eau et le frottement, le dos courbé, la peau brûlée par le soleil, les allers-retours pour transporter le linge mouillé, encore plus lourd que le linge sec. Pourtant, leur rôle était vital : sans elles, de nombreuses familles n'auraient pas pu entretenir correctement leur linge.

Les lavoirs : des lieux de travail, mais aussi de vie

Avec l'augmentation des besoins et l'organisation des villes, des lavoirs publics ont été construits pour faciliter le travail des lavandières. Le plus connu est le lavoir de Casabona, à Saint-Pierre. Inauguré en 1932, il comptait environ 120 bassins en pierre de basalte, alimentés par un canal d'irrigation. Ce lavoir monumental permettait à des dizaines de lavandières de travailler en même temps, chacune avec son bassin.

Mais ces lieux n'étaient pas seulement des espaces de labeur. Ils servaient aussi de véritables carrefours sociaux. On y échangeait les nouvelles du quartier, on s'y confiait, on y riait, on y partageait des soucis et des joies. Pour beaucoup de femmes, le lavoir représentait un espace de liberté, un endroit où l'on retrouvait les voisines, hors de l'étroitesse des maisons d'autrefois. Les enfants accompagnaient parfois leurs mères, jouaient près du canal, observaient les gestes répétés, presque rituels, du lavage.

Le lavoir, c'était un bout de vie. Une scène du quotidien où se mêlaient travail, discussions, traditions et solidarité.

Un métier qui disparaît avec la modernisation

À partir des années 1970 et 1980, l'accès généralisé à l'eau courante, la diffusion des machines à laver et l'arrivée des premières blanchisseries ont transformé en profondeur le quotidien réunionnais. L'activité des lavandières a décliné progressivement, jusqu'à presque disparaître.

Certains lavoirs, comme celui de Casabona, ont continué d'être utilisés ponctuellement, parfois par tradition, par attachement à une manière ancienne de faire, ou pour laver certains types de linge encombrants. Aujourd'hui encore, il arrive que des familles ou quelques femmes âgées s'y rendent, ne serait-ce que pour perpétuer un geste appris jeune.

Le lavoir de Casabona est désormais classé monument historique. Il témoigne de l'importance de cette activité dans la vie sociale et dans l'histoire de l'île. Il représente la mémoire de ces femmes qui, par leur travail souvent invisible et silencieux, ont soutenu des générations de foyers.

Un héritage qui reste dans les mémoires

Même si le métier de lavandière n'existe plus réellement, il demeure dans les souvenirs collectifs. Beaucoup de Réunionnais se souviennent de leurs mères, de leurs grands-mères, de leurs tantes, travaillant au bord de la rivière ou dans un lavoir. Des récits, des photographies anciennes, des chansons parfois, évoquent ces femmes courageuses, patientes et solidaires.

Le métier de lavandière est un morceau d'histoire réunionnaise : un témoignage de la vie d'autrefois, des rapports sociaux, de la condition féminine et des solidarités de quartier. Préserver la mémoire de ces femmes, c'est conserver un bout de l'identité culturelle de La Réunion.

Sources 

  1. Réunionnais du Monde – Témoignages, photos d'époque et description du travail des lavandières de La Réunion.

  2. Ville de Saint-Pierre – Documents historiques sur le Lavoir de Casabona (construction en 1932, description des bassins, rôle social et patrimoine).