
LES MÉTIERS LONTAN : LES PÊCHEURS DE BICHIQUES
Le métier de pêcheur de bichiques à La Réunion
La pêche des bichiques, ces minuscules alevins de cabots bouche-ronde, fait partie des traditions les plus emblématiques de La Réunion. On les appelle souvent le « caviar péi », tant leur rareté et leur valeur sont reconnues. Ce savoir-faire ancien se transmet de génération en génération, notamment dans les régions où les rivières se jettent dans la mer.
Un métier ancré dans les rivières
La pêche des bichiques est considérée comme la plus ancienne forme de pêche de l'île. Selon les recherches historiques, elle remonterait à l'époque de l'esclavage, dès l'arrivée des premiers habitants au XVIIᵉ siècle. Les esclaves, principalement originaires de Madagascar, auraient apporté leurs techniques traditionnelles — notamment l'usage des vouves (du malgache « vovo ») et de petites nasses tressées — des méthodes qui étaient déjà pratiquées dans les embouchures de grands fleuves malgaches. Plusieurs documents anciens montrent d'ailleurs que ces techniques étaient presque identiques à celles employées encore aujourd'hui à La Réunion. À l'époque coloniale, les bichiques étaient considérés comme un plat du pauvre, très apprécié des esclaves, puis des colons qui en faisaient un cari réputé.
Les pêcheurs de bichiques travaillent aux embouchures des rivières, là où les jeunes poissons remontent après être nés en mer. Ce moment de remontée, très court et imprévisible, demande une grande vigilance. La pêche se pratique à marée basse ou à certains moments précis du cycle lunaire. Les pêcheurs guettent le bon moment, souvent de nuit ou à l'aube.
Dans certains lieux emblématiques comme la Rivière des Roches, la pêche s'organise en équipe. Les zones de pêche — parfois appelées « fincas » — sont gérées par quelques pêcheurs expérimentés. Ces hommes investissent dans l'entretien des canaux, la pose de filets et l'amélioration des installations, ce qui demande un vrai savoir-faire technique et une connaissance intime de l'environnement.
Techniques et outils traditionnels
Le matériel est simple : filets, vouves, installations en pierre ou en bois pour canaliser les alevins. Le travail s'effectue les pieds dans l'eau, parfois dans des conditions difficiles, entre les courants, la pluie et le ressac des vagues. Les pêcheurs travaillent souvent en famille ou en petits groupes, chacun connaissant son rôle.
La pêche n'est pas qu'un métier : c'est un mode de vie. Beaucoup de pêcheurs témoignent d'un attachement profond à la rivière et à l'équilibre naturel. Le respect des cycles, l'observation de l'eau, des marées et des saisons sont essentiels.
Un métier fragile et menacé
Aujourd'hui, la pêche de bichiques est plus réglementée qu'autrefois. Les alevins sont sensibles aux perturbations : pollution, barrages, modification des cours d'eau, braconnage. Les autorités ont mis en place une réglementation stricte pour protéger les espèces et encadrer la période de pêche.
Moins de jeunes s'engagent dans cette activité, et les anciens voient disparaître peu à peu un morceau de leur culture. Les travaux de recherche montrent d'ailleurs que la grande majorité des pêcheurs actifs sont des personnes âgées, tandis que les jeunes ne s'investissent que ponctuellement. Cette faible transmission met en danger la survie même de cette pratique ancestrale.
Sources : Carole Thomas, Les Dynamiques socio-écologiques de la pêche des bichiques à La Réunion, Thèse de doctorat, Muséum National d'Histoire Naturelle et « Le Grand-Petit monde de la Rivière des Roches », Les Réunionnais du Monde.
« Le Grand-Petit monde de la Rivière des Roches », Les Réunionnais du Monde.
Documentation locale sur la réglementation et l'histoire de la pêche des bichiques à La Réunion.


