
LES MÉTIERS LONTAN : LE CHARRETIER
Le métier de charretier à La Réunion lontan (d'autrefois)
Parmi les métiers qui ont façonné la vie quotidienne de La Réunion lontan (d'autrefois), celui de charretier occupe une place singulière. On peut retrouver ce métier dans les actes anciens, parfois sous les termes de « charretier », « conducteur de charrette » ou « conducteur de bœufs ».
Avant l'arrivée des véhicules motorisés, le charretier était l'un des piliers du transport terrestre sur l'île. Sa présence était indispensable dans les campagnes, autour des usines sucrières, dans les bourgs et sur les chemins qui traversaient les ravines et les pentes.
🌱 Un métier central dans l'économie rurale
Du XIXᵉ siècle jusqu'au milieu du XXᵉ siècle, le charretier assurait le transport de la canne à sucre, mais aussi d'autres produits agricoles : manioc, café, vivres, charbon de bois, foin pour les animaux, matériaux de construction, la roche des rivières pour la construction des maisons, le corail pour la fabrication des ciments, ainsi que les marchandises arrivant à la gare.
Il travaillait en étroite collaboration avec les planteurs, les « cases » des travailleurs, les petits propriétaires, et bien sûr, les usines sucrières, qui dépendaient de lui pour que la canne arrive rapidement au moulin avant de fermenter.
La charrette à bœufs était le moyen de transport principal. Adaptée aux réalités du terrain réunionnais, elle avançait lentement, mais avec régularité, même sur les pistes pierreuses et les sentiers boueux.
🐂 La charrette à bœufs : outil et patrimoine
Fabriquée généralement en bois dur par les artisans locaux, la charrette réunionnaise possédait :
de grandes roues cerclées,
des ridelles pour contenir les charges,
des essieux solides,
un système de freinage rudimentaire mais efficace (souvent une vis de serrage appelée l'ariage).
Le charretier dirigeait un attelage de un à quatre bœufs. Ces animaux étaient au centre de l'activité : le charretier les nourrissait, les soignait, connaissait leur tempérament et leur force. Une véritable relation se créait entre l'homme et l'animal.
🗣 Le langage du charretier et son "chabouk"
Le charretier réunionnais possédait une manière bien à lui de communiquer avec ses bœufs.
Le principal outil était le chabouk (fouet), non pour frapper, mais pour émettre des coups secs qui servaient de signal sonore. Le simple claquement suffisait souvent à faire avancer l'attelage ou à attirer l'attention des animaux.
On retrouvait un ensemble d'ordres traditionnels, souvent transmis de génération en génération :
« Diak-wo-hue ! » — pour faire avancer les bœufs
« Glllll… » — pour faire reculer
« Tèk-tèk-tèk ! » — pour s'arrêter
Ces onomatopées faisaient partie du patrimoine sonore des villages, tout comme le grincement du bois et le bruit du frein l'ariage qui se coinçait dans la roue lors des descentes.
Ce langage particulier, à la fois technique et créole, faisait partie intégrante du savoir-faire du charretier.
🌋 Un métier éprouvant
Le métier de charretier était extrêmement physique :
longues journées sous le soleil,
terrains pentus et glissants,
risques d'accidents dans les descentes,
charges lourdes à manipuler.
Beaucoup de charretiers marchaient pieds nus sur les chemins pour garder de l'adhérence ou parce que les chaussures s'usaient vite dans ces conditions difficiles.
À la saison de la coupe, ils travaillaient sans relâche. On pouvait voir de longues files de charrettes qui attendaient leur tour devant l'usine, chacun respectant un ordre précis.
🏡 Un métier transmis et respecté
Le métier était souvent familial. Les enfants apprenaient jeunes à guider les bœufs, à réparer les roues, à graisser les essieux, à fabriquer les cordages.
Dans les quartiers ruraux, le charretier était une figure familière, qui rendait de multiples services : transport de personnes, déménagements, livraisons diverses, participation aux cérémonies et même aux enterrements.
🏭 Le lien avec l'industrie sucrière
L'activité du charretier était directement rattachée au fonctionnement des usines sucrières. Sans lui, la canne récoltée dans les champs n'aurait jamais atteint le moulin.
Les charretiers formaient un véritable réseau, chacun connaissant les chemins, les ravines, les raccourcis et les dangers des routes de l'époque.
🚜 Le déclin du métier
À partir des années 1950-1960, l'arrivée des véhicules motorisés — camions (cachalots), tracteurs — a progressivement remplacé les charrettes.
Le métier a décliné, mais il n'a pas disparu immédiatement. Dans certains endroits reculés, il a persisté jusque dans les années 1980.
Aujourd'hui, quelques charrettes sont encore visibles lors de fêtes traditionnelles ou comme éléments décoratifs, témoins d'un passé pas si lointain.
📚 Sources :
Jean-Bernard Laurent, La Réunion de Lontan : métiers et traditions rurales, Éditions du Tramail.
Témoignages et descriptions publiés dans la presse locale, notamment un article de Zinfos974 consacré aux petits métiers d'antan.
Jean-Paul Rivière, La vie quotidienne à Bourbon et La Réunion du XIXᵉ siècle, Revue de l'Océan Indien.

