
LE GÉRANIUM BOURBON
Géranium Bourbon : le parfum des Hauts et la mémoire d'un peuple
Sur les hauteurs verdoyantes de La Réunion, là où les nuages s'attardent sur les pentes et où le vent porte encore le parfum des forêts défrichées, flotte une odeur familière et envoûtante : celle du géranium rosat. Cette plante, devenue emblème des Hauts, raconte à elle seule une page entière de l'histoire rurale réunionnaise.
Des racines anciennes à l'île Bourbon
Le géranium est connu depuis l'Antiquité. Son nom vient du grec géranion, la « grue », en référence à la forme allongée de son fruit. Mais le géranium rosat, celui dont on tire la précieuse huile essentielle, est une espèce bien plus récente. Originaire d'Afrique du Sud, il a gagné l'Europe au XIXᵉ siècle, avant de traverser les mers pour s'épanouir sous le climat humide et tempéré de l'île Bourbon, dès les années 1870.
Introduit d'abord à la Plaine des Palmistes, puis à la Plaine des Cafres et au Tampon, il s'est rapidement acclimaté aux terres d'altitude. Dès 1920, la culture s'étend jusqu'aux Hauts de Saint-Paul, bientôt surnommés « capitale mondiale du géranium ». Entre les deux guerres, l'île connaît une véritable fièvre du géranium : plus de 15 000 hectares sont défrichés, et chaque famille vit au rythme des plantations, des coupes et des distillations.
Le savoir-faire des hauts
Planter du géranium n'était pas une mince affaire. Les boutures, mises en terre à la main, demandaient patience et soin. Tous les deux mois, les jeunes pousses donnaient une récolte, souvent menée par les femmes, qui coupaient les tiges et les laissaient sécher au champ. Les hommes, quant à eux, transportaient les lourds ballots vers l'alambic.
La distillation, véritable art, transformait la vapeur en un précieux liquide vert : l'huile essentielle de géranium Bourbon. On disait qu'elle apparaissait sous forme de « petits yeux » à la surface de l'eau, signe d'un bon rendement.
Ce travail de patience et de passion a longtemps fait vivre les familles des hauts, laissant derrière lui non seulement une économie, mais un patrimoine sensoriel et humain.
Le géranium Bourbon : un trésor de bienfaits
Au-delà de son parfum enivrant, le géranium Bourbon a conquis sa place dans la médecine naturelle. Son huile essentielle, douce et équilibrée, est prisée en aromathérapie pour ses vertus multiples. Utilisée aussi bien en usage interne qu'externe (à très faible dose), elle entre dans la composition de nombreux remèdes naturels.
En phyto-aromathérapie, le géranium s'allie à d'autres plantes pour renforcer leur action thérapeutique. Son essence peut être employée pure, diluée ou en solution, selon les besoins. Les anciens la recommandaient pour apaiser divers maux du quotidien : affections de la peau, douleurs, infections ou troubles digestifs.
Ses propriétés sont étonnamment nombreuses : tonique, cicatrisante, astringente, hémostatique, vermifuge, parasiticide, antalgique… Certains lui prêtaient même des effets antidiabétiques ou anticancéreux. Et comme si cela ne suffisait pas, son parfum subtil éloigne naturellement les moustiques.
Un parfum de bien-être
Au fil du temps, le géranium Bourbon a trouvé sa place jusque dans nos maisons. Quelques gouttes versées dans un bain suffisent à embaumer la pièce et à favoriser un sommeil paisible. Ce rituel simple, hérité des savoirs d'autrefois, perpétue le lien entre la plante, la terre et les gens.
Héritage et mémoire
Aujourd'hui, les distilleries des hauts de Saint-Paul, du Tampon ou de la Plaine des Palmistes continuent de préserver ce savoir-faire. Chaque flacon d'huile de géranium Bourbon concentre des siècles d'histoire, de gestes précis et de passion.
Il rappelle la force des cultivateurs qui, la hache à la main, ont ouvert les pentes volcaniques à la culture. Il évoque aussi le parfum de nos grand-mères, la sueur des coupeuses, le feu des alambics et le murmure du vent à travers les feuilles.
Le géranium Bourbon, c'est bien plus qu'une essence parfumée : c'est la mémoire vivante des Hauts, un parfum d'identité et d'héritage réunionnais.
Source : Les parfums de Bourbon – Jacques Lougnon

