LE CULTE DE SAINT-EXPÉDIT A L'ILE DE LA RÉUNION

13/10/2025

Le culte de Saint Expédit à La Réunion : entre ferveur, crainte et mémoire populaire


À La Réunion, rares sont les traditions religieuses aussi visibles et profondément ancrées que le culte de Saint Expédit. Présent dans les églises comme sur les bords des routes, ce saint au manteau rouge fait partie du paysage spirituel et culturel de l'île.


Mais derrière la ferveur qui entoure sa figure se cache aussi une certaine crainte respectueuse : celle d'un saint réputé "fort", capable de donner comme de reprendre, et dont on redoute la colère autant qu'on sollicite la protection.


Un saint au destin singulier


Saint Expédit, ou Expeditus, aurait été un centurion romain converti au christianisme et martyrisé vers l'an 303, sous Dioclétien. Son nom évoque la rapidité et la détermination, qualités qui en font le protecteur des causes urgentes.


Son existence historique reste cependant incertaine : certains pensent qu'il s'agit d'un malentendu linguistique, né d'une caisse de reliques portant la mention "Expedit" ("expédié"). Qu'il soit légendaire ou réel, son image s'est imposée dans l'imaginaire chrétien comme celle d'un soldat du bien, vainqueur de la paresse et du doute.


L'introduction du culte à La Réunion


Le culte de Saint Expédit s'implante à La Réunion dans les années 1920-1930. La tradition rapporte qu'une Réunionnaise, Madame Chatel, aurait obtenu grâce à son intercession de pouvoir rentrer sur l'île depuis la métropole. En remerciement, elle fit ériger une statue bénie en 1931 à l'église Notre-Dame de la Délivrance, à Saint-Denis.


Dès lors, la dévotion se répand sur toute l'île. On érige des oratoires rouges, souvent à des carrefours, dans les virages dangereux ou à proximité de lieux marqués par des drames. Ces petits sanctuaires, entretenus par des familles ou des anonymes, témoignent d'une foi populaire vivante.


Un culte à la croisée des croyances


À La Réunion, le culte de Saint Expédit dépasse les frontières de la religion catholique. Il attire aussi bien des catholiques fervents que des fidèles d'origine tamoule, malgache ou créole, qui y retrouvent des symboles proches de leurs propres traditions spirituelles.
Les offrandes varient : bougies, fleurs, bouteilles d'eau ou de rhum, parfois ex-voto en remerciement d'une grâce obtenue. La couleur rouge, omniprésente, renvoie à la fois à la cape du légionnaire et à la puissance de la foi.


Mais cette force inspire aussi une forme de crainte: beaucoup de Réunionnais affirment qu'il ne faut pas "jouer" avec Saint Expédit, ni promettre ce qu'on ne peut tenir. Son aide serait rapide, mais son exigence redoutable. On dit qu'il "donne vite, mais corrige fort" ceux qui manquent de respect.


Entre foi, peur et mémoire collective


L'Église catholique a parfois regardé ce culte avec prudence, redoutant les excès ou les dérives syncrétiques. Pourtant, malgré les mises en garde, Saint Expédit demeure l'un des saints les plus priés de l'île.


Sa popularité dépasse la religion : il incarne une mémoire spirituelle commune, celle d'un peuple marqué par la diversité et la recherche de protection.
Les oratoires rouges qui jalonnent les routes réunionnaises racontent non seulement la foi, mais aussi la crainte sacrée — cette peur respectueuse du divin, transmise de génération en génération, qui relie aujourd'hui encore les Réunionnais à leurs ancêtres et à leurs croyances.