
LE BAGNE OUBLIÉ DES ENFANTS RÉUNIONNAIS
Perché à plus de 700 mètres d'altitude, dans les hauts de Saint-Denis, l'Îlet à Guillaume cache une histoire longtemps passée sous silence. Entre 1864 et 1879, ce site isolé a accueilli une colonie pénitentiaire pour mineurs, souvent qualifiée de « bagne pour enfants »
Un camp de redressement pour mineurs
À l'époque, en métropole comme dans les colonies, la justice voulait séparer les enfants des adultes incarcérés. Officiellement, il s'agissait d'« éduquer par le travail » de jeunes considérés comme délinquants ou vagabonds. En réalité, beaucoup d'entre eux étaient de simples enfants pauvres, envoyés au pénitencier dès l'âge de 7 ou 8 ans.On estime qu'entre 3 000 et 4 000 garçons ont été internés à l'Îlet à Guillaume durant ses quinze années d'activité. Ils étaient encadrés par des religieux de la Congrégation du Saint-Esprit et astreints à de rudes travaux : terrassements, construction de routes et de bâtiments, exploitation agricole, forge ou encore scierie.
Une vie de souffrance
Censés être une alternative à la prison, ces camps se sont vite transformés en lieux de souffrance. Isolement, discipline sévère, travail épuisant : les conditions de vie étaient extrêmes. Des décès sont attestés — au moins 14 enfants morts sur le site selon les archives — mais les historiens soupçonnent un nombre plus élevé.Le bagne fermera officiellement en 1879, après de nombreuses critiques sur son fonctionnement. Abandonné, l'îlet fut peu à peu recouvert par la végétation.
Des vestiges redécouverts
Aujourd'hui, les ruines de l'Îlet à Guillaume sont classées Monument historique (depuis 2008). Depuis quelques années, des fouilles archéologiques menées par l'INRAP permettent de mieux comprendre l'organisation du camp : logements, ateliers, église, zones agricoles.Cette recherche redonne vie à la mémoire de ces enfants oubliés et contribue à une réflexion plus large sur l'histoire de la justice des mineurs, entre répression et éducation.
Un lieu de mémoire réunionnais
L'Îlet à Guillaume n'est pas qu'un site archéologique : c'est aussi un lieu de mémoire. Pour beaucoup, il incarne une page sombre de l'histoire de La Réunion, où la misère sociale se transformait en condamnation et en exploitation.Rendre hommage à ces enfants, c'est aussi rappeler combien la société a cheminé depuis le XIXᵉ siècle, vers une justice des mineurs davantage tournée vers l'accompagnement que vers la punition.
Source : INRAP – Sur les ruines d'un pénitencier pour enfants à La Réunion
