LA VIE D'ATHANASE TOUCHARD, FIGURE EMBLÉMATIQUE DE L'ÎLE BOURBON

10/06/2025

Athanase Touchard, né vers 1640 à Issy-les-Moulineaux (92), est une figure de ma lignée paternelle dont les origines restent floues. Ce qui est certain, c'est qu'il a marqué l'histoire de l'île Bourbon par son parcours exceptionnel, semé d'épreuves et d'engagements.

Un départ incertain de la France et l'arrivée à Madagascar

Plusieurs événements majeurs de l'époque auraient pu influencer son départ de France, comme la colonisation des Antilles, le début de la colonisation de La Réunion, ou encore la Grande Peste de Londres qui a sévi en France. En 1664, Athanase Touchard signe le « livre des engagés » de la Compagnie des Indes orientales. Il ne fait pas partie du premier groupe de colons arrivés à Saint-Paul en 1665. Selon certaines sources, il débarque d'abord à Madagascar.

Le massacre de Fort-Dauphin : une épreuve fondatrice

En 1643, la France établit un comptoir commercial à Fort-Dauphin (actuelle Tôlanaro) à Madagascar, marquant sa première incursion dans l'océan Indien. Cependant, les tensions croissantes avec les populations malgaches aboutissent au massacre de Fort-Dauphin la nuit du 27 août 1674. Des dizaines de colons sont tués, anéantissant les ambitions coloniales françaises de l'époque.

Miraculeusement, Athanase Touchard échappe à ce massacre. Les survivants trouvent refuge au Mozambique avant de tenter de rejoindre l'île Bourbon. Un long et périlleux voyage de sept mois à bord du navire « Le Blanc-Pignon » coûte la vie à trente-huit passagers.

L'arrivée à l'île Bourbon et le sort des « filles du Roy»

En mai 1676, certains rescapés du massacre, dont Athanase Touchard, parviennent enfin à l'île Bourbon à bord du navire « Le Saint-Robert ». Parmi eux se trouvent Nicole Coulon et Françoise Chatelain, deux des seize jeunes femmes connues sous le nom de « filles du Roy ». Ces dernières, issues de l'Hôpital Général de Paris et envoyées par Colbert pour peupler les colonies, ont également vécu une odyssée semée d'embûches. Seules deux d'entre elles atteindront Bourbon, déjà mariées.

L'arrivée de ces infortunés est accueillie avec une générosité exemplaire par les habitants de Bourbon, qui partagent leurs maigres ressources. Cette hospitalité légendaire donne naissance au proverbe créole : « qu'on pouvait faire le tour de la Colonie sans une piastre dans la poche, ni louer âne ou mulet. »

Une vie de labeur et d'engagement civique

Cinq ans après son arrivée, Athanase Touchard épouse Elisabeth Houve ou Hanno, une Malgache veuve. De cette union naissent onze enfants : Etienne, Marie, Elisabeth, Marguerite, Antoine, Marie Thérèse, Athanase, Etiennette, Marianne, Henry, et Louise, mon aïeule.

Laboureur de profession, il acquiert des concessions à la Montagne et à l'étang de Saint-Paul. Le gouverneur Antoine Boucher le décrira comme un homme pieux et édifiant, dont les enfants sont un exemple de sagesse pour tous les Créoles de l'île.

Le « compère Athanase » : premier président élu de la justice

L'île Bourbon, souvent délaissée par son gouverneur Étienne Regnault, se retrouve fréquemment sans direction. Dans ce contexte, la population désigne Athanase Touchard pour assurer l'intérim du gouvernement et rendre la justice, lui valant le surnom de « compère Athanase ». Il met en place un système judiciaire original, composé d'une assemblée de notables siégeant autour d'une pierre plate, visible encore aujourd'hui sur le chemin du Tour-des-Roches. Les jugements sont rendus rapidement et sans appel.

Athanase Touchard est également prieur de la Congrégation du Mont-Carmel et membre du Directoire de Saint-Paul en 1694. Ce Directoire est une solution audacieuse mise en place par les habitants de l'île pour pallier l'instabilité administrative et le vide de pouvoir. Composé de six membres élus, dont Athanase Touchard, il assure une administration minimale mais vitale de la colonie pendant deux ans.

L'impôt de capitation et la sagesse de « compère Athanase »

Durant son administration provisoire, Athanase Touchard instaure le tout premier impôt de capitation, une taxe singulière pour lutter contre les rats qui ravagent les plantations. Chaque foyer doit prouver la destruction de six rats par semaine par personne. Cette mesure s'avère redoutablement efficace.

Réputé pour son grand bon sens, l'avis d'Athanase Touchard est systématiquement sollicité lors des délibérations. Son point de vue fait toujours jurisprudence, donnant naissance au dicton « faire compère Athanase », signifiant adopter l'avis de celui qui vient de parler.

Fin de vie et postérité

L'expérience d'auto-gouvernance du Directoire prend fin avec l'arrivée de Joseph Bastide, nommé gouverneur en 1696. 

Athanase Touchard décède le 16 août 1715 à Saint-Paul. Son épouse, Elisabeth, s'éteint en 1729, également à 75 ans, victime de la grande épidémie de variole qui frappe l'île.

La famille Athanase Touchard, jouissait d'une influence considérable au sein de la jeune colonie. Les gouverneurs étaient souvent la cible de leurs critiques acerbes concernant leur administration. Cependant, l'autorité en place n'apprécie généralement pas ceux qui prennent des initiatives et pallient à ses propres lacunes. Un arrêt du conseil supérieur du 4 novembre 1727, sous le gouverneur Dumas, priva Touchard et ses enfants de leurs concessions, les accusant d'être parmi les « plus condamnables » fainéants. Toutefois, l'opinion populaire prit la revanche de Touchard sur la sévérité de ce jugement.

Le destin de Touchard est un exemple classique de ce qui arrive souvent aux opposants sous tous les régimes.

Le nom d'Athanase Touchard est d'ailleurs conservé par la ravine où il résidait, la ravine Athanase, à l'est de Saint-Paul.



Sources : 

L'épopée des cinq cents premiers réunionnais, dictionnaire du peuplement (1663/1713)

Causeries historiques sur l'île de la Réunion, par G.-F. Crestien

ACTE DE DECES - AD 974
ACTE DE DECES - AD 974