
DE LA RANCE AUX GALÈRES : LE PARCOURS TUMULTUEUX DE ROBERT DUHAL A L'AUBE DE LA RÉUNION
L'année 1658, précisément le 4 avril, vit naître, en la modeste paroisse de Pleudihen-sur-Rance, en terre bretonne, un enfant nommé Robert DUHAL (Sosa 1318). Fils de Jean DUHAL (Sosa 2636) et de Bétranne CLEMENT (Sosa 2637), dont l'union fut bénie par quatorze héritiers, Robert fut porté sur les fonts baptismaux par Guy Leroy, sieur de LA POUPINIERE, et Roberde CLEMENT. De ses aïeux, paternels et maternels – Nicolas DUHAL (Sosa 5272) et Perrine GUEGUEN (Sosa 5273) d'un côté, Jean CLEMENT (Sosa 5274) et Françoise BRIAND (Sosa 5275) de l'autre – seuls les noms nous sont parvenus, silhouettes lointaines dans la brume du temps. Il est à noter que Robert DUHAL s'inscrit dans la lignée de ma branche paternelle, établissant ainsi un lien direct avec cette figure historique.
Sa naissance précéda de peu une ère d'expansion outre-mer pour la France. Vingt-quatre mois à peine avant que les colons ne s'établissent durablement en Guadeloupe, le 31 mars 1660, et sept ans avant que l'île de la Réunion ne devienne une terre française le 9 juillet 1665, le destin de Robert semblait encore ancré en métropole.
Pourtant, le grand vent de l'histoire allait souffler sur sa vie. En 1685, un an avant son propre départ pour l'île Bourbon, la France fut secouée par la révocation de l'Édit de Nantes, le 17 octobre, connu sous le nom d'Édit de Fontainebleau. Cette décision royale interdisait le culte protestant, déclenchant les terribles dragonnades – conversions forcées au catholicisme souvent synonymes de massacres – et poussant à l'exil de nombreux citoyens. Ne pouvant sonder les profondeurs de son lignage pour y déceler d'éventuelles accointances protestantes, Robert aurait-il saisi cette occasion, ce tumulte national, pour s'embarquer vers les horizons lointains de l'île Bourbon en 1686, fuyant une métropole en proie aux persécutions ?
Ce fut donc en novembre 1686 que Robert posa le pied sur la terre de l'île Bourbon, débarquant du navire le Saint François d'Assise. D'abord établi aux Sables à Saint-Paul, Robert y exerça son métier de forgeron. Un an plus tard, le 14 mars 1687, à Saint-Paul, il unissait sa destinée à celle de Thérèse MOLLET (Sosa 1319), née également à Saint-Paul en 1673. Fille de Claude MOLLET (Sosa 2638) et Jeanne de la Croix (Sosa 2639), Thérèse avait pour parrain le célèbre Jacob de La Haye, une figure majeure de l'expansion coloniale française du XVIIe siècle. Amiral et directeur de la Compagnie française des Indes orientales, Jacob de La Haye fut l'architecte des premières tentatives françaises de colonisation à Madagascar et de l'affirmation de la présence française dans l'océan Indien dès les années 1670. Cette prestigieuse parenté spirituelle conférait à la naissance de Thérèse une dimension déjà ancrée dans le destin de l'île.
Peu après leur mariage, le couple de Robert et Thérèse émigra vers Saint-Denis, où il continua son activité de forgeron. De leur union naquirent quatre enfants, parmi lesquels Thérèse (Sosa 659), future épouse d'André RAUX (Sosa 658), à qui un chapitre ultérieur sera dédié.
Cependant, le calme de la vie coloniale de Robert fut bientôt brisé par le grand drame politique de l'île : l'affaire du Gouverneur VAUBOULON. Robert se retrouva directement compromis dans cette intrigue qui secoua Bourbon dès 1690. Henri HABERT de VAUBOULON, haï pour son autoritarisme et sa vénalité, fut spectaculairement arrêté en pleine messe dominicale par une coalition de colons excédés, parmi lesquels Robert DUHAL figurait aux côtés du Père Hyacinthe, Michel FIRELIN, Marc VIDOT (Sosa 4050), Jacques BARRIERE, et Julien ROBERT (Sosa 1036 et 1072).
Pressentant le vent tourner après cette audacieuse rébellion, Robert et Thérèse firent le choix de revenir s'installer à Saint-Paul. La destitution de VAUBOULON conduisit à une période d'instabilité : après le refus du Père Hyacinthe, Michel FIRELIN fut élu gouverneur par les colons le 4 mars 1691. Sa première action fut la restitution des sommes indûment perçues par VAUBOULON, qui mourut en détention le 18 août 1692, probablement empoisonné, son valet ayant été exécuté peu avant par un tribunal populaire. L'île connut alors une ère d'autonomie partielle, parfois surnommée à tort "République de Bourbon", le pouvoir étant aux mains des colons sans reconnaissance officielle de la Couronne. Michel FIRELIN démissionna le 29 avril 1694, laissant la place à un directoire de six membres.
Mais l'autorité royale ne pouvait laisser de tels actes impunis. Face aux troubles et à l'insoumission, la Couronne intervint. En mai 1697, un procès retentissant s'ouvrit à Rennes, visant à juger les principaux acteurs de la révolte. Robert DUHAL, parmi les six hommes impliqués, fut embarqué sur le navire le Florissant de l'escadre de SERQUIGNY, à destination de la métropole. Il fut jugé à Rennes et, le 24 mai 1697, fut condamné aux galères à perpétuité. Robert DUHAL termina sa vie derrière les barreaux, s'éteignant en prison à Paris le 20 mai 1714. Il semble qu'il ait pu, grâce à d'influentes relations familiales, échapper à l'envoi vers les bagnes du sud, un destin souvent réservé aux forçats.
Pendant que Robert connaissait son funeste sort en métropole, sa veuve, Thérèse MOLLET (Sosa 1319), affrontait seule les défis de la vie à Bourbon. Plongée dans une situation précaire par cette séparation forcée, elle fit preuve d'une remarquable résilience. Sous la direction de son beau-père, Pierre HIBON, second époux de sa mère Jeanne DE LA CROIX, Thérèse se lança dans l'acquisition et la fructification de concessions. Elle parvint ainsi à détenir des terres à La Montagne, aux Sables à Saint-Paul, et un terrain à Saint-Gilles. En 1735, elle possédait un nombre considérable de 34 esclaves pour l'époque.
Cependant, le souvenir de Robert aux galères fut la source de récits contradictoires. Antoine LABBE, dit Antoine DESFORGES-BOUCHER (1679-1725), alors garde-magasin de la Compagnie des Indes, affirmait en 1709 dans son "Mémoire pour servir à la connaissance particulière de chaque habitant de l'Isle de Bourbon" que Thérèse, malgré plus de 200 écus en argent comptant, était d'une "si grande avarice" qu'elle refusa de confier 200 écus aux missionnaires LAVANTE et CALVARIN, qui se disaient capables de faire libérer son mari.
À l'inverse, le père BARASSIN soutenait que cette accusation était fausse et que Thérèse avait fait tout le contraire, allant jusqu'à consacrer 400 écus à la cause de son époux.
Quelle que fût la vérité sur ses efforts pour Robert, Thérèse MOLLET continua son chemin, forgeant une vie de labeur et de prospérité sur l'île. Elle s'éteignit le 1er février 1753 à Saint-Paul, à l'âge respectable de 79 ans, laissant derrière elle le témoignage d'une femme forte, dont l'existence fut indissociable des tumultes et des opportunités des débuts de la colonisation de Bourbon.
Ainsi, bien au-delà de leur propre époque, la mémoire de Robert DUHAL et de Thérèse MOLLET se prolonge à travers la postérité de leurs descendants et de leur parentèle. De la lignée de Jeanne de La Croix, mère de Thérèse MOLLET, sont également issus, au fil des générations, des figures marquantes de la culture, de la politique et de la spiritualité françaises. Cette branche collatérale de ma famille paternelle compte en effet parmi ses enfants : le chanteur et musicien Georges FOUCARDE, le poète Charles LECONTE DE LISLE, le scénariste et comédien Gustave KERVERN, le poète Auguste DE VILLELE, l'homme politique Yves DE KERVEGUEN, la médecin et femme politique Valérie FOURNEYRON, ainsi qu'Anne DE GUIGNE, sainte française déclarée vénérable par Jean-Paul II en 1990, et François DE GROSSOUVRE, médecin, industriel et conseiller du président MITTERRAND. Autant de noms qui témoignent de la richesse et de la diversité de cette lignée, enracinée dans l'histoire de Bourbon et rayonnant bien au-delà de ses rivages.
Sources :
Archives départementales de la Charente-Maritime
Archives départementales de la Réunion
Antoine LABBE dit DESFORGES-BOUCHER, Mémoire pour servir à la connaissance particulière de chaque habitant de l'Isle de Bourbon
Bulletin N° 92 Juin 2006 Du Cercle Généalogie Bourbon - article sur le décès de Robert DUHAL suite à l'affaire VAUBOULON de Patrick ONEZIME LAUDE
Site Généanet, pour les cousins célèbres

