À TABLE AUTREFOIS À LA RÉUNION

17/09/2025

À table autrefois à La Réunion

Imaginez un repas en 1721, servi à ces anciens forbans qu'on avait choisi d'amnistier. Le menu était fixé par règlement et ne laissait pas de place à la fantaisie :Au lever du jour, un morceau de pain – ou du riz, quand il n'y avait pas de blé – accompagné d'un grand gobelet de fangourin. Cette boisson aujourd'hui oubliée était une sorte de vin de canne, obtenu en faisant fermenter le vesou (le jus frais de la canne). Peu raffiné, un peu âpre, c'était l'alcool du quotidien, bien avant l'arrivée de l'arack.

À midi, on posait sur la table une soupe fumante, suivie de viande bouillie ou rôtie, d'une petite entrée, puis de pain ou de riz. Le tout, encore une fois, arrosé de fangourin.

Le soir, retour à la même formule : soupe, viande, riz ou pain… et toujours le même breuvage de canne.Quelques fruits pouvaient compléter le repas, mais seulement s'ils étaient disponibles, et certains « extras » étaient proposés… moyennant paiement.

Un siècle plus tard, au début du XIXᵉ siècle, c'est toute l'âme de la cuisine créole qui s'installait. Les esclaves, par exemple, recevaient du maïs distribué par leurs maîtres. Ils y ajoutaient ce qu'ils faisaient pousser eux-mêmes dans de petits jardins : brèdes, légumes, et surtout piment, indispensable pour relever les plats. La viande était rare : une poule de leur basse-cour de temps en temps, ou un peu de poisson salé fourni régulièrement.

La vie des petits Blancs pauvres n'était guère différente. Eux aussi vivaient de maïs, de brèdes et de légumes, avec parfois un peu de viande de chasse, notamment le cabri marron qui courait encore dans les Hauts. En période de disette, tous – riches comme pauvres – se tournaient vers les patates douces et le manioc, base de survie pour bien des familles.

Et pour accompagner tout cela ? On avait peu à peu délaissé le fangourin. Désormais, c'était l'arack – alcool de canne distillé localement – qui remplissait les verres. D'abord importé, il s'était vite imposé dans toutes les couches de la société, bien avant même que le sucre ne devienne la grande richesse de l'île. Ainsi se dessinait peu à peu le socle de la cuisine créole, celle dont on retrouve encore aujourd'hui les saveurs dans nos marmites et nos traditions familiales.


Source : Chroniques de Bourbon - Yves Pérotin